2022
D’est en ouest, toujours tournées vers le Christ
Août 2022


Porter secours

D’est en ouest, toujours tournées vers le Christ

Alyona est en train de m’expliquer que son père l’a autorisé à être baptisée seulement lorsqu’elle aura dix-huit ans quand soudain, elle s’interrompt, interdite. Elle échange un regard furtif avec les trois autres et, à leur air entendu, je comprends que quelque chose m’échappe complètement. Elle voit mon front plissé par l’incompréhension, saisit mon trouble et y répond en pointant son oreille avec son index. Je tends l’oreille et cette fois je l’entends : l’hélicoptère qui passe dans le lointain. Il passe comme passent de temps en temps des hélicoptères ; je n’en fais jamais grand cas. Mais pour Alyona, c’est devenu un signal d’alarme. Elle me parle de son enfance dans la région de Donetsk, une enfance privée de feu d’artifice parce qu’on peut les confondre avec les tirs de missiles ou de mortier. Elle me parle du vacarme des chasseurs bombardiers qui déchirent le ciel en un instant. Instinctivement, ces bruits déclenchent maintenant un état physique d’alerte chez nos quatre Ukrainiennes.

Notre famille est attablée depuis plus d’une heure avec Alyona, Valeria, Laura et Nastya. Pour un petit-déjeuner de sabbat, ça sort de l’ordinaire. Elles viennent de passer la nuit chez nous. Nous les avons récupérées hier soir, tard, au pied de la tour Eiffel, le seul endroit immanquable de Paris auquel elles pouvaient penser. Et encore, dans la cohue d’un samedi soir parisien au pied de la tour Eiffel, et avec un réseau capricieux pour communiquer, il nous a fallu quelques allées et venues et des prières silencieuses pour établir le contact.

Alyona me demande si Nastya, qui parle moins bien anglais, peut reprendre un pancake. Prends tous les pancakes que tu veux Nastya, ici, tu es en sécurité et tout notre confort, toute notre abondance sont pour vous. « C’est que, m’explique Alyona, elle jeûne tous les week-ends maintenant et si elle ne mange pas assez, elle aura trop faim… » Notre cœur fond devant la foi simple de Nastya qui n’est membre de l’Église de Jésus-Christ que depuis… neuf mois…

Fin février, toutes les quatre participaient à une conférence de jeunes de l’Église, la première en personne depuis le début de la pandémie. C’est dans un village de montagne près de Lviv, dans l’Ouest ukrainien qu’elles ont appris, incrédules, la déclaration de guerre. Après des discussions douloureuses avec leurs familles, elles se sont résolues à quitter leur pays, tournant durablement le dos à leurs foyers en franchissant, des larmes plein les yeux, la frontière dans la région de Lviv. Des jours de pleurs inconsolables, des errances, des nuits dans des trains, dans des gares, au grand air, avec un petit sac-à-dos pour tout bagage et la providence divine comme boussole. Elles ont vingt et vingt et un ans, viennent des pieux de Kiev et de Kharkiv. Si Laura a été baptisée quand elle était enfant, Alyona et Valeria, elles, ne sont membres que depuis trois ans. Plus des étrangers ni des gens du dehors ; concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. C’est nous qui nous sentons fiers d’être leurs concitoyens.

Alyona et Nastya finissent de remplir leur dossier missionnaire et espèrent partir d’ici l’été. En corollaire, c’est plus facile pour elles que pour Valeria et Laura de se projeter. Il y a un avenir clair et réjouissant pour elles. C’est plus incertain pour les deux autres. Mais ces jeunes femmes sont fantastiques de dignité et de solidité. Leur amour du Seigneur prime sur leur inquiétude. Leur foi éclaire leurs doutes. Leur espérance brille dans la pénombre de leur monde. Plus grande l’obscurité, plus brillante la lumière. Des vingt-quatre heures passées ensemble, je n’ai pas entendu un commentaire désagréable sur la Russie, même pas sur le ton de la plaisanterie.

En donnant une bénédiction de la prêtrise à chacune d’elle avec mon fils, j’ai senti la puissance de l’amour du Père pour ses filles. J’ai écouté avec étonnement les promesses qu’elles ont reçues, d’un avenir brillant, d’amour, de paix et de reconstruction. Malgré la guerre et la souffrance. Après la réunion de Sainte-Cène, nous les avons accompagnées dans les jardins du temple de Paris avant qu’elles ne reprennent encore un train de nuit, pour Prague cette fois, où, enfin, elles retrouveront les grands-parents d’Alyona qui ont réussi à s’y installer la semaine dernière. Le bâtiment de la Cumorah Academy leur servira de refuge pour un temps. Nous avons pris des photos au pied des arbres en fleurs et sous le regard de la statue du Christ. Un refuge contre la tempête qui déjà se déverse sans mélange sur notre Terre. Valeria n’avait jamais vu de temple. Et moi, je n’entendrai plus jamais le bruit des hélicoptères de la même façon.