Histoire de l’Église
Chapitre 17 : Préservés l’un pour l’autre


« Préservés l’un pour l’autre », chapitre 17 de Les saints : Histoire de l’Église de Jésus-Christ dans les derniers jours, tome 3, Hardiment, noblement et en toute indépendance, 1893-1955, 2021

Chapitre 17 : « Préservés l’un pour l’autre »

Chapitre 17

Préservés l’un pour l’autre

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automobiles des années 1920 dans une rue de Salt Lake City enneigée

Tandis que la croissance de l’Église se poursuivait dans le monde entier, Heber J. Grant ne savait pas quoi décider concernant l’avenir des établissements scolaires de l’Église. Au cours des vingt-cinq dernières années, leur coût de fonctionnement avait été multiplié par dix. Certains changements permirent d’économiser de l’argent, notamment le remplacement du coûteux système académique de pieu par le programme du séminaire. Cependant, l’université Brigham Young, l’université des saints des derniers jours, et d’autres établissements de l’Église étaient en pleine expansion. Si ces institutions voulaient offrir la même qualité d’éducation que l’université d’Utah et d’autres établissements locaux parrainés par l’État, il leur faudrait plus d’argent que celui fourni par les fonds de la dîme1.

Cette dépense troublait constamment le prophète. En février 1926, lors d’une réunion du bureau général de l’éducation de l’Église, il déclara : « Rien ne m’a davantage préoccupé depuis que je suis président. » L’université Brigham Young, à elle seule, demandait plus d’un million de dollars pour agrandir son campus. Le président Grant dit : « C’est tout simplement impossible 2. »

Certains membres du bureau, aussi inquiets que le prophète, souhaitaient que l’Église ferme toutes ses universités, y compris BYU. Cependant, les apôtres David O. McKay et John Widtsoe, qui avaient tous deux fréquenté les établissements d’enseignement de l’Église et avaient été commissaires à l’éducation de l’Église, rétorquèrent que les jeunes adultes avaient besoin de ces écoles car elles dispensaient une éducation religieuse importante.

En mars, lors d’une réunion du bureau, frère McKay affirma : « Les établissements scolaires ont été fondés pour avoir une influence sur nos enfants. » Pour lui, les universités de l’Église jouaient un rôle essentiel car elles façonnaient les jeunes en saints des derniers jours fidèles.

Frère Widtsoe partageait cet avis. Il dit : « Je connais la valeur des écoles de l’Église. Elles aident les jeunes à devenir matures. Je pense que l’Église commettrait une grande erreur si elle ne gardait pas une institution d’enseignement supérieur3. »

À peu près à la même époque, Charles W. Nibley, conseiller du président Grant, rencontra William Geddes, membre de l’Église originaire d’Idaho, au nord de l’Utah. Ses filles, Norma et Zola, faisaient partie des quelques saints des derniers jours qui fréquentaient l’université d’Idaho. Leur petite branche louait pour ses réunions une salle miteuse dans laquelle des soirées dansantes étaient parfois organisées le samedi soir. Le lendemain matin, lorsque Norma et Zola arrivaient pour les réunions de l’Église, l’endroit empestait la fumée de cigarette et le sol était jonché de déchets et de bouteilles d’alcool vides4.

William souhaitait que ses filles puissent se réunir dans un lieu de culte plus approprié près de leur université. Il expliqua à frère Nibley : « À moins de disposer de meilleurs locaux, l’université n’attirera jamais d’étudiants saints des derniers jours5. »

Le président Grant et le bureau d’éducation réfléchirent à la situation en Idaho tandis qu’ils discutaient de l’avenir de l’éducation de l’Église. Ils décidèrent de continuer de financer l’université Brigham Young tout en retirant progressivement leur soutien à la plupart des autres universités de l’Église. Une éducation religieuse allait aussi être proposée aux étudiants en étendant le séminaire à l’université. Le bureau envisagea alors de faire de l’université d’Idaho un terrain d’expérimentation pour le nouveau programme. Il ne restait plus qu’à trouver quelqu’un qui s’installe à Moscow, la petite ville où se trouvait l’université6.

En octobre, les membres de la Première Présidence rencontrèrent Wyley Sessions, ancien agent agricole de l’université d’Idaho, qui venait tout juste de rentrer chez lui après avoir présidé la mission sud-africaine. Ils l’avaient recommandé pour un poste dans une entreprise sucrière locale, mais tandis qu’ils lui parlaient du travail, frère Nibley s’interrompit et se tourna vers le prophète.

Il dit : « Nous sommes en train de faire une erreur.

– Je crains que oui, acquiesça le président Grant. Je n’ai pas vraiment l’impression que nous devons affecter frère Sessions à cette entreprise sucrière. »

Le silence régna dans la salle pendant un instant. Frère Nibley reprit : « Frère Sessions, vous êtes l’homme qu’il nous faut à l’université d’Idaho. Nous avons besoin que vous preniez soin de nos garçons et de nos filles qui iront à l’université là-bas, que vous examiniez la situation et nous disiez ce que doit faire l’Église pour les étudiants saints des derniers jours qui fréquentent les universités d’État.

– Oh non ! répondit Wyley. Frères, m’appelez-vous à faire une autre mission ? » Son affectation en Afrique du Sud avait duré sept ans et les avait laissés, lui et sa femme Magdalen, presque sans le sou.

« Non, frère, nous ne vous appelons pas pour une autre mission, s’amusa le prophète. Nous vous donnons une occasion splendide de rendre service à l’Église. » Il ajouta qu’il s’agirait d’une opportunité professionnelle, d’un emploi rémunéré.

Wyley Sessions se leva tristement. Frère Nibley se dirigea vers lui et le prit par le bras.

Il lui dit : « Ne soyez pas déçu. C’est ce que le Seigneur veut que vous fassiez7. »


Le jour de l’An 1927, la neige recouvrait Salt Lake City mais un soleil radieux inondait la maison de la famille Widtsoe, tenant le froid à distance8. Eudora, âgée de quatorze ans, était la seule enfant qui vivait encore là, mais toute la famille s’était réunie pour les vacances. Leah était ravie d’être entourée de ses enfants.

Marsel avait maintenant vingt-quatre ans. Il était fiancé et allait être diplômé de l’université d’Utah dans quelques mois. Il espérait pouvoir entrer à l’université de Harvard, comme son père, et y étudier l’administration des affaires9. Sa sœur aînée, Ann, quant à elle, avait épousé Lewis Wallace, jeune avocat saint des derniers jours, et avait déménagé avec lui à Washington, DC. Toutefois, elle était revenue en Utah parce qu’elle avait le mal du pays. Sa mère s’inquiétait pour elle. Leah et John étaient reconnaissants de la bonté et de la miséricorde du Seigneur à l’égard de leur famille10.

Au début de la nouvelle année, John reprit ses fonctions au sein des Douze et Leah consacra son temps libre à aider sa mère dans un nouveau projet d’écriture11. Pendant des années, elle l’avait vue rassembler des renseignements et noter des histoires sur son père, Brigham Young, afin de publier un jour sa biographie. Cependant, depuis quelque temps, Leah avait remarqué que sa mère avançait sur d’autres projets d’écriture, comme l’histoire des saintes des derniers jours, mais qu’elle ne travaillait plus sur la biographie.

« Mère, qu’en est-il du livre sur ton père ? lui demanda-t-elle un jour. Ne l’écris-tu plus ?

– Non, il est trop grand pour moi, répondit Susa. Si tu te tiens à côté d’une montagne, tu ne peux pas vraiment la décrire parce que tu es trop près pour bien la voir.

– Tout de même, tu dois le faire, insista sa fille. Un jour, tu devras écrire ce livre sur ton père et je serai heureuse de t’y aider12. »

Depuis, Susa avait rédigé deux manuscrits volumineux sur Brigham Young. Elle sollicita Leah pour l’aider à en faire une seule biographie cohérente. Leah trouvait le travail difficile, parfois long et fastidieux, mais elle savait que sa mère avait besoin d’aide. Susa était une écrivaine née, dotée d’un esprit fort et de beaucoup de détermination. Sa fille peaufinait le texte et structurait l’écriture. Elles travaillaient ensemble chez Susa et formaient une bonne équipe13.

Le matin du 23 mai 1927, le quotidien de Leah fut brutalement interrompu par une lettre arrivant de Preston, en Idaho, où Marsel enseignait le séminaire. Après avoir porté secours à un automobiliste en panne sur le bord de la route, Marsel avait attrapé un méchant rhume. Ses amis pensaient qu’il allait mieux mais sa température restait élevée. Il risquait une pneumonie qui mettrait sa vie en danger14.

Leah prit immédiatement le train pour Preston et arriva au chevet de Marsel. Le lendemain, sa température baissa de quelques degrés et Leah pensa qu’il allait se rétablir. Mais son état ne s’améliora pas, et Leah recommença à s’inquiéter. John vint aussi à Preston, implorant le Seigneur d’épargner la vie de son fils. Il appela l’un de ses amis, médecin, pour qu’il s’occupe du jeune homme. Des amis donnèrent à Marsel des bénédictions de la prêtrise. D’autres le veillèrent pendant la nuit.

Épuisée, Leah s’effondra le 27 mai. Cette nuit-là, l’état de Marsel sembla s’améliorer. Marion Hill, sa fiancée, arriva le lendemain matin. Les poumons de Marsel semblaient se dégager et sa température chuta à nouveau. Mais, plus tard dans la journée, sa respiration devint plus difficile et son corps enfla. Tout l’après-midi, Leah resta à ses côtés avec John et Marion. Les heures passaient lentement mais il n’allait pas mieux. Il mourut dans la soirée15.

Leah était inconsolable. Elle avait déjà perdu quatre de ses enfants. Son dernier fils, dont l’avenir semblait si prometteur et bien tracé au début de la nouvelle année, n’était plus là16.


Ce printemps-là, à quelque deux mille cinq cents kilomètres à l’est de Salt Lake City, Paul Bang, âgé de huit ans, se préparait pour le baptême. Il était le sixième d’une famille de dix enfants, quatre filles et six garçons. Ils vivaient dans une pièce en forme de L, derrière l’épicerie que tenaient leurs parents à Cincinnati, ville dynamique de plus de quatre cent mille habitants de l’Ohio, dans le Midwest des États-Unis. Pour créer un semblant d’intimité, la famille avait divisé la pièce à l’aide de rideaux. Malgré tout, personne n’avait vraiment d’intimité. La nuit, les membres de la famille dormaient sur des lits pliants qui prenaient tellement de place qu’on pouvait à peine se déplacer dans la pièce17.

Le père de Paul, Christian Bang, père, était originaire d’Allemagne. Quand il était enfant, sa famille avait déménagé à Cincinnati, comme de nombreux immigrants allemands au XIXe siècle. En 1908, Christian avait épousé Rosa Kiefer, dont les parents étaient également des immigrants allemands. Trois ans plus tard, une amie de Rosa, Elise Harbrecht, lui avait donné un Livre de Mormon. Le couple l’avait lu avec intérêt. Ils avaient eu des réunions avec les missionnaires pendant une année puis s’étaient fait baptiser dans un bain juif car l’Ohio était gelée18.

La branche de Cincinnati ressemblait à beaucoup de branches de l’Église de l’est des États-Unis. La ville avait abrité une assemblée prospère de saints, mais celle-ci avait diminué au fil des ans tandis que de plus en plus de membres de l’Église se rassemblaient en Utah. À l’époque où les parents de Paul étaient devenus membres de l’Église, les saints des derniers jours étaient devenus un objet de curiosité dans la région. En 1912, lorsque les missionnaires baptisèrent un garçon, des centaines de personnes vinrent les observer. Le lendemain du baptême, un article dans le journal informa les lecteurs de la présence des missionnaires dans la région.

On y lisait : « De grands efforts seront faits ouvertement pour convertir de nombreuses autres personnes19. »

Après leur baptême, les parents de Paul assistèrent aux réunions de l’Église avec les missionnaires et quelques autres membres dans une petite salle louée. Puis un membre de l’Église déménagea en Utah, un autre décéda et deux cessèrent de venir. Christian et Rosa envisagèrent de rejoindre aussi l’Utah mais ils décidèrent finalement de rester en Ohio où se trouvaient leurs familles et leur travail20.

Comme d’autres branches éloignées de Salt Lake City, la branche de Cincinnati eut le plaisir d’accueillir des membres de l’Église plus expérimentés. Charles et Christine Anderson, couple de saints des derniers jours venant d’Utah, s’installèrent à Cincinnati et commencèrent à aller à l’église avec les membres de la famille Bang, qui venait de se convertir.

La famille Anderson avait été dotée et scellée dans le temple et avait œuvré dans des paroisses et des pieux de l’Ouest américain pendant de nombreuses années. Comme beaucoup de saints, les Anderson avaient quitté l’Utah en quête de nouvelles possibilités. Né en Suède, Charles avait inventé un nouveau type de serpillière et était venu dans l’Est pour la fabriquer. Il ne connaissait rien de Cincinnati, à part le fait que c’était une grande ville et un centre d’affaires prospère. Néanmoins, le président de mission des États du Sud l’appela immédiatement pour réorganiser et diriger la branche. Il choisit le père de Paul pour être son premier conseiller21.

Il n’était pas facile d’être un saint des derniers jours à Cincinnati. Depuis des années, des articles de presse et des manifestants s’attaquaient à l’Église. Un jour, Frank Cannon, fils apostat de George Q. Cannon, organisa un rassemblement dans la ville. Le journal local qualifia alors Cincinnati de « champ de bataille de la guerre contre la propagation du mormonisme en Amérique22 ».

Pourtant, malgré l’opposition, les parents de Paul s’appliquèrent à élever leurs enfants dans l’Évangile. Ils assistaient aux réunions hebdomadaires de l’Église et servaient fidèlement dans leur petite branche. Chaque matin, le père de Paul réunissait toute sa famille pour prier et réciter le « Notre Père », une pratique courante chez les chrétiens allemands. Le lundi, sa mère invitait souvent les missionnaires à dîner. Ils prenaient place autour d’une grande table dans la cuisine reliée à l’arrière-boutique. La mère de Paul ne jetait jamais rien d’utilisable ; elle cuisinait les aliments abîmés du magasin en prenant soin de retirer les parties pourries des fruits, des légumes ou de la viande avant de les servir. Son père insistait pour que les missionnaires mangent à satiété23.

Le couple veillait également à ce que ses enfants se fassent baptiser à l’âge de huit ans24. Le 5 juin 1927, Paul fut baptisé dans l’Ohio en compagnie de quatre autres personnes à Anderson’s Ferry, quartier de la ville au bord de la rivière. Ses parents et frère Anderson étaient présents pour l’occasion, ainsi que certains de ses amis.

Il n’y avait pas de curieux pour assister à l’événement et aucun article de journal ne fut publié. Un compte rendu du baptême fut fait dans le Liahona, le journal des missionnaires [Liahona, the Elders’ Journal], qui était le magazine officiel des missions de l’Église en Amérique du Nord. On y lisait même le nom de Paul25.


L’accueil réservé à Wyley et Magdalen Sessions à l’université d’Idaho ne fut pas chaleureux. La ville de Moscow se trouvait au nord de l’État, dans un endroit ou peu de membres de l’Église vivaient. De nombreuses personnes étaient venues dans la région pour cultiver le sol riche ou chercher fortune dans les industries minières et forestières. Les habitants se méfiaient de l’Église et ils étaient irrités par la présence de Wyley.

« Qui est ce type, ce Sessions ? demandaient-ils. Que vient-il faire ici ? Que cherche-t-il à faire26 ? »

Si on lui avait posé directement les deux dernières questions, Wyley n’aurait pas su quoi répondre. Il avait été chargé par la Première Présidence d’aider les étudiants saints des derniers jours et c’était à lui de décider comment s’y prendre. Il savait que les étudiants avaient besoin d’une instruction religieuse donnée de manière régulière et d’un nouvel endroit pour se réunir. Toutefois, Wyley n’avait aucune expérience dans l’instruction religieuse en dehors de son service en tant que président de mission. Il avait étudié l’agriculture à l’université. Si les étudiants l’interrogeaient sur les engrais, il était capable de les instruire. Par contre, il n’était pas un érudit de la Bible27.

Peu après leur arrivée à Moscow, Wyley et Magdalen s’inscrivirent à l’école supérieure de l’université afin de poursuivre leurs études et de se familiariser avec l’établissement et son corps enseignant. Wyley étudia la philosophie et l’éducation, suivit quelques cours sur la religion et la Bible, et commença à rédiger une thèse sur la religion dans les universités d’État aux États-Unis. De son côté, Magdalen étudia le travail social et l’anglais.

C. W. Chenoweth, le directeur du département de philosophie, s’avéra être un allié. Comme eux, il s’inquiétait du manque d’instruction religieuse dans les universités d’État. Il avait été aumônier pendant la guerre et était désormais pasteur dans une église près de Moscow. Il leur dit : « Vous devriez vous préparer à la rivalité de l’université si vous proposez à ce campus un programme religieux. »

Avec les encouragements de C. W. Chenoweth, Wyley et Magdalen Sessions élaborèrent un programme semblable au séminaire destiné aux étudiants saints des derniers jours fréquentant les universités publiques. Ils basèrent leur programme d’éducation religieuse sur ceux des autres universités et veillèrent à respecter la séparation entre l’Église et l’État. Les cours de religion devaient répondre aux normes de l’État concernant l’enseignement universitaire, mais ils devaient également être totalement indépendants de l’établissement lui-même. Si l’Église construisait un bâtiment pour les cours, il devrait être situé en dehors du campus28.

Sachant que l’université ne soutiendrait pas le nouveau programme tant que les dirigeants locaux se méfieraient de lui et de l’Église, Wyley Sessions devint membre de la chambre de commerce et d’un groupe civique, afin de rencontrer des membres influents de la collectivité. Il découvrit que des chefs d’entreprise, des pasteurs et des professeurs avaient formé un comité pour le surveiller et veiller à ce qu’il n’essaye pas d’asseoir l’influence de l’Église sur l’université. Fred Fulton, agent d’assurance, dirigeait ce comité. Chaque fois que Wyley Sessions assistait à des manifestations de la chambre de commerce, il s’asseyait à côté de lui et essayait de se lier d’amitié avec lui.

Un jour, Fred Fulton lui dit : « Sacré Wyley, tu es le plus étonnant des hommes. » Il lui avoua son rôle dans le comité. Il expliqua : « À chaque fois que je te vois, tu es tellement sympathique que je t’apprécie de plus en plus29. »

Toute la ville finit par s’adoucir à l’égard de la famille Sessions. Avec l’aide de Wyley, l’Église trouva un terrain près du campus et l’acheta afin d’en faire un centre d’étude pour les saints. Wyley et un architecte de l’Église travaillèrent avec l’université et la chambre de commerce pour concevoir le bâtiment, l’approuver et superviser sa construction. À l’automne 1927, Wyley commença à donner des cours de religion et l’université accepta d’accorder des crédits universitaires aux étudiants qui les suivaient. Magdalen, quant à elle, organisa une série d’activités sociales pour les étudiants saints des derniers jours tels que Norma et Zola Geddes30.

Un jour, alors que Wyley se promenait avec Jay Eldridge, le doyen de la faculté, ils passèrent devant le terrain du nouveau centre étudiant de l’Église. Le doyen dit : « C’était intelligent de votre part de vous procurer ce terrain. » Il demanda ensuite comment l’Église allait appeler ce nouveau programme. Il ajouta : « Vous ne pouvez pas l’appeler ‘séminaire’. Vous utilisez déjà ce terme pour vos séminaires d’enseignement secondaire.

– Je ne sais pas, répondit Wyley. Je n’y ai pas vraiment réfléchi. »

Jay Eldridge s’arrêta. « Je vais vous dire comme vous allez l’appeler. Vous avez devant vous l’institut de religion des saints des derniers jours. »

Le nom plut à Wyley Sessions ainsi qu’au bureau général d’éducation de l’Église31.


En septembre 1927, Leah Widtsoe se sentait épuisée spirituellement, mentalement et physiquement. La mort soudaine de son fils, Marsel, l’avait plongée dans une profonde dépression. Elle dit un jour à John : « Je me demande vraiment si cela vaut la peine de vivre. Sans ton amour, je sais que cela ne vaudrait pas la peine32. »

Le 31 mai, Marsel avait été enterré au cimetière de Salt Lake City. Le lendemain, c’était le vingt-neuvième anniversaire de mariage de Leah et John. Ils passèrent la journée à ranger après les funérailles. Dans les semaines et les mois suivants, leurs amis et les membres de leur famille leur rendirent souvent visite mais, malgré leur soutien et leur amour, la guérison était lente33. Ils avaient néanmoins une raison de se réjouir : leur fille, Ann, était enceinte. Cependant, cette dernière était malheureuse dans son mariage et elle décida de rester en Utah avec ses parents au lieu de retourner auprès de son mari à Washington, DC.

La dépression de Leah faisait de chaque jour un combat. Les tâches ecclésiastiques de John l’obligeaient à être souvent en déplacement mais, lorsqu’il était à la maison, il était auprès d’elle, lui rendant la vie supportable. Cet été-là, elle lui confia : « Je prie pour que nous soyons préservés l’un pour l’autre. Si tu es à mes côtés, je peux mener toutes les batailles34 ! »

Le 8 août 1927, Ann donna naissance à John Widtsoe Wallace, et Leah et John devinrent grands-parents35. Un mois plus tard, Harold Shepstone, journaliste anglais en visite à Salt Lake City, rencontra la mère de Leah. Susa Gates lui parla de la biographie de Brigham Young qu’elle était en train d’écrire avec Leah et il demanda à la voir. Elle lui remit une copie du manuscrit et il accepta de l’aider à trouver un éditeur.

Il déclara : « Cet ouvrage constituera une lecture des plus intéressantes mais, bien sûr, il devra être fortement condensé36. »

Toutes ces bonnes nouvelles ne suffirent pas à consoler Leah. Susa lui proposa de l’accompagner en Californie, espérant qu’un séjour sur la côte lui remonterait le moral37. Cependant, juste après avoir acheté les billets, le président Grant appela John à être le nouveau président de la mission européenne. Pendant le reste de la journée, John était abasourdi. Il ne dormit presque pas la nuit suivante. La mission européenne était l’une des plus anciennes et des plus vastes missions de l’Église. Son président était responsable de neuf autres présidents de mission, établis dans des pays s’étendant sur des milliers de kilomètres, de la Norvège à l’Afrique du Sud. L’apôtre appelé à diriger cette mission avait normalement beaucoup d’expérience38.

Leah accepta ce nouvel appel, même s’il l’éloignait de sa maison et de ses proches. L’année précédente avait été cauchemardesque et ce changement était le bienvenu. Ici, tout lui rappelait Marsel. En Europe, elle aurait la possibilité de faire son deuil. De son côté, John était convaincu que le président Grant avait été inspiré de les appeler en mission pour les aider à faire face à la perte de leur fils39.

Les deux mois suivants furent consacrés à leurs préparatifs40. En préparant ses affaires, Leah pensa à Harold Shepston et à la biographie de Brigham Young. Elle ajouta le manuscrit à ses bagages, déterminée à faire tenir au journaliste sa promesse de trouver un éditeur41.

Le 21 novembre, Leah et John Widtsoe furent mis à part pour leur mission. Ils retournèrent ensuite chez eux pour dire au revoir à la tante de John, Petroline, alors âgée de soixante-quatorze ans. Ils lui avaient proposé de les accompagner en Europe mais elle ne pensait pas en avoir la force. Cependant, elle était heureuse que John ait la possibilité de retourner en Europe et d’enseigner l’Évangile, comme elle l’avait fait vingt ans auparavant avec sa mère.

Plus tard dans la journée, une foule vint dire au revoir à Leah, John et leur fille Eudora à la gare. Susa Gates leur remit une lettre à ouvrir dans le train. On y lisait : « Je vous suivrai dans votre voyage et dans la grande œuvre que vous accomplirez tous les deux. Votre tante et moi vous attendrons sur le quai quand vous rentrerez, sereines, souriantes, heureuses du retour de nos enfants tendrement aimés. »

Elle exhorta également Leah à se préparer aux nombreuses difficultés qu’elle ne manquerait pas de rencontrer pendant la mission. Elle ajouta : « Notre Père doit lui-même être impitoyable parfois, lorsque ses enfants doivent acquérir de l’expérience par la douleur, la pauvreté et les combats42. »

  1. Secrétaire du bureau général de l’éducation à Joseph F. Smith, 30 novembre 1901, Centennial History Project Records, BYU ; Church Board of Education, Minutes, 3 février 1926 ; 3 et 10 mars 1926.

  2. Church Board of Education, Minutes, 3 février 1926.

  3. Church Board of Education, Minutes, 3 mars 1926. Sujet : Établissements scolaires de l’Église

  4. Greene, Interview ; Greene, A Life Remembered, p. 33 ; Wright, « Beginnings of the First LDS Institute of Religion at Moscow, Idaho », p. 68-70.

  5. Greene, A Life Remembered, p. 33 ; By Study and Also by Faith, p. 64 ; Wright, « Beginnings of the First LDS Institute of Religion at Moscow, Idaho », p. 70-72.

  6. Church Board of Education, Minutes, 23 mars 1926 ; 25 juin 1926 ; 1er septembre 1926 ; 12 octobre 1926 ; Grant, Journal, 24 mars 1926 ; By Study and Also by Faith, p. 64-65. Sujet : Séminaires et Instituts

  7. Grant, Journal, 13 septembre 1926 ; Heber J. Grant à Marriner W. Eccles et Henry H. Rolapp, 13 septembre 1926, First Presidency Miscellaneous Correspondence, CHL ; Sessions, Oral History Interview, 1972, p. 4 ; Griffiths, « First Institute Teacher », p. 175-182 ; Tomlinson, « History of the Founding of the Institutes of Religion », p. 151-159.

  8. Widtsoe, Diary, 1er janvier 1927.

  9. Widtsoe, Diary, 21 novembre et 14 décembre 1926 ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 236 ; Thomas Hull à John A. Widtsoe et Leah D. Widtsoe, 15 juin 1927, Widtsoe Family Papers, CHL.

  10. Widtsoe, Diary, 7 et 9 octobre 1926 ; 8 et 14 décembre 1926 ; 1er janvier 1927 ; « Anne Widtsoe and Lewis Wallace Married », Ogden (UT) Standard-Examiner, 10 octobre 1926, section 2, [1] ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 février 1927, Widtsoe Family Papers, CHL.

  11. Widtsoe, Diary, janvier et février 1927 ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 février 1927, Widtsoe Family Papers, CHL.

  12. Leah D. Widtsoe, « I Remember Brigham Young », Improvement Era, juin 1961, volume 64, p. 385 ; Widtsoe, Oral History Interview, p. 11-12 ; Susa Young Gates to Heber J. Grant and Counselors, Dec. 5, 1922 ; Susa Young Gates to James Kirkham and Albert Hooper, Nov. 12, 1929, Susa Young Gates Papers, CHL.

  13. Widtsoe, Oral History Interview, p. 11-12 ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 février 1927 ; Susa Young Gates à Leah D. Widtsoe, 28 juillet 1928 ; Lucy G. Bowen à Leah D. Widtsoe et John A. Widtsoe, 25 novembre 1930, Widtsoe Family Papers, CHL ; « Mrs. Susa Young Gates », Deseret News, 27 mai 1933, p. 4. Sujet : Brigham Young

  14. J. E. Fisher à John A. Widtsoe et Leah D. Widtsoe, 22 mai 1927, Widtsoe Family Papers, CHL ; Widtsoe, Diary, 23 mai 1927 ; Susa Young Gates, ébauche de la notice nécrologique de Marsel Widtsoe, Widtsoe Family Papers, CHL ; « Karl M. Widtsoe Dies of Pneumonia », Deseret News, 30 mai 1927, section 2, [1].

  15. Widtsoe, Diary, 23-28 mai 1927 ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 29, 236.

  16. Leah D. Widtsoe à la Première Présidence, 16 septembre 1933, First Presidency Mission Files, CHL ; Widtsoe, Oral History Interview, p. 33 ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 235-237.

  17. Fish, « My Life Story », [1]-[2] ; Paul Bang, « My Life Story », p. 1, 7-8 ; U.S. Department of Commerce, Bureau of the Census, Fifteenth Census of the United States : 1930, volume 1, p. 836.

  18. Christian Bang, père, « My Story », [1]-[3] ; Fish, « My Life Story », [1] ; Fish, Kramer et Wallis, History of the Mormon Church in Cincinnati, p. 52-54.

  19. Fish, Kramer et Wallis, History of the Mormon Church in Cincinnati, p. 21-42, 45-50 ; « Mormons Baptize Child in the Ohio », Commercial Tribune (Cincinnati), 16 septembre 1912, p. 12.

  20. Christian Bang Sr, « My Story », [3] ; Alexander, Mormonism in Transition, p. 105-106.

  21. Anderson, « My Journey through Life », volume 4, p. 117-118 ; Christian Bang, père, « My Story », [5] ; Anderson, Twenty-Three Years in Cincinnati, p. 2-3, 13, 45 ; Johnson et Johnson, « Twentieth-Century Mormon Outmigration », p. 43-47 ; Plewe, Mapping Mormonism, p. 144-147. Sujet : Exode rural

  22. « World-Wide Attack on Mormonism Now Planned », Commercial Tribune (Cincinnati), 30 juin 1912, [16] ; « Fight on Mormonism to Start in Cincinnati », Commercial Tribune, 26 janvier 1915, p. 3 ; « Cannon Makes Severe Attack on Mormonism », Commercial Tribune, 3 février 1915, p. 10.

  23. Fish, « My Life Story », [3], [6] ; Christian Bang, père, « My Story », [5] ; Paul Bang, « My Life Story », p. 6, 8.

  24. Bang family entries, South Ohio District, Northern States Mission, n° 27-33, 324, 334, dans Ohio (State), partie 2, Record of Members Collection, CHL.

  25. « News from the Missions », Liahona, the Elders’ Journal, 12 juillet 1927, volume 25, p. 42 ; Paul Bang entry, South Ohio District, Northern States Mission, n° 334, dans Ohio (State), partie 2, Record of Members Collection, CHL ; Paul Bang, « My Life Story », p. 7 ; Picturesque Cincinnati, p. 77. Dans le Liahona, son nom a été mal ortographié. On lisait « Paul Bancy ».

  26. Sessions, Oral History Interview, 1972, p. 4-5 ; Sessions et Sessions, Oral History Interview, 1965, p. 12 ; Wright, « Beginnings of the First LDS Institute of Religion at Moscow, Idaho », p. 66-68 ; Tomlinson, « History of the Founding of the Institutes of Religion », p. 159-161.

  27. J. Wyley Sessions à Heber J. Grant, 13 novembre 1926, First Presidency Miscellaneous Correspondence, CHL ; Sessions et Sessions, Oral History Interview, 1965, p. 10 ; Tomlinson, « History of the Founding of the Institutes of Religion », p. 154-155.

  28. Sessions et Sessions, Oral History Interview, 1965, p. 10-11 ; Tomlinson, « History of the Founding of Institutes of Religion », p. 161, 183-186.

  29. Sessions, Oral History Interview, 1972, p. 5 ; Tomlinson, « History of the Founding of Institutes of Religion », p. 161-162 ; Griffiths, « First Institute Teacher », p. 182.

  30. Sessions et Sessions, Oral History Interview, 1965, p. 11-13 ; Sessions, Oral History Interview, 1972, p. 8-9 ; Tomlinson, « History of the Founding of Institutes of Religion », p. 159-168 ; Griffiths, « First Institute Teacher », p. 182-185.

  31. Sessions et Sessions, Oral History Interview, 1965, p. 11-12 ; Tomlinson, « History of the Founding of Institutes of Religion », p. 168-173.  Sujet : Séminaires et instituts

  32. Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 septembre 1927, Widtsoe Family Papers, CHL ; John A. Widtsoe à Heber J. Grant, 17 octobre 1927, First Presidency General Administration Files, CHL ; Leah D. Widtsoe à First Presidency, 16 septembre 1933, First Presidency Mission Files, CHL.

  33. Widtsoe, Diary, 31 mai - 7 juin 1927 ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 236-237.

  34. Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, télégramme, 31 août 1927 ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 septembre 1927, Widtsoe Family Papers, CHL ; Widtsoe, Diary, 21 juin -21 septembre 1927.

  35. Widtsoe, Diary, 8 août 1927.

  36. Widtsoe, Oral History Interview, p. 12-13 ; Widtsoe, Diary, 16, 24 septembre 1927 ; Harold Shepstone to Susa Young Gates, Oct. 25, 1927 ; Dec. 2, 1927, Susa Young Gates Papers, CHL.

  37. Hal and Bichette Gates to Susa Young Gates, Telegram, Sept. 24, 1927, Family Correspondence, Susa Young Gates Papers, CHL ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 20 septembre 1927, Widtsoe Family Papers, CHL.

  38. Widtsoe, Diary, 29-30 septembre 1927 ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 189 ; John A. Widtsoe à James E. Talmage et Merry B. Talmage, 1er novembre 1927, John A. Widtsoe Papers, CHL ; Van Orden, Building Zion, p. 93-94 ; « Mission Presidents in Convention », Latter-day Saints’ Millennial Star, 20 septembre 1928, volume 38, p. 600-602.

  39. Leah D. Widtsoe à la Première Présidence, 16 septembre 1933, First Presidency Mission Files, CHL ; Leah D. Widtsoe à John A. Widtsoe, 12 juillet 1927 ; Leah D. Widtsoe à Louisa Hill, 11 mai 1928, Widtsoe Family Papers, CHL ; Widtsoe, In a Sunlit Land, p. 189 ; John A. Widtsoe à James E. Talmage et Merry B. Talmage, 1er novembre 1927, John A. Widtsoe Papers, CHL.

  40. Widtsoe, Diary, octobre-novembre 1927.

  41. Widtsoe, Oral History Interview, p. 13 ; Susa Young Gates to Harold J. Shepstone, Oct. 5, 1927, Susa Young Gates Papers, CHL.

  42. Widtsoe, Diary, 21 novembre 1927 ; Widtsoe, In the Gospel Net, p. 102-105, 133, 135 ; Susa Young Gates à Leah D. Widtsoe et John A. Widtsoe, 21 novembre 1927, Widtsoe Family Papers, CHL.